ArcelorMittal Florange : Retour à la case départ

Mobilisation, combats, espoirs, négociations, déceptions, retournements de situation, amertume, cacophonieIl y a à la fois trop et pas assez de mots pour décrire ce que les métallos de Florange ont vécu au cours des 18 derniers mois, embarqués malgré eux pour un tour de montagnes russes organisé par le géant de l’acier. Alors que le dossier vient de connaître le triste rebondissement que l’on sait, FO Métaux revient sur l’odyssée de Florange.

Depuis 18 mois, les métallos lorrains vivent avec une crainte: celle de voir ArcelorMittal faire rimer Florange avec Gandrange, dont la fermeture avait été un traumatisme. Le 31 mars 2009, malgré les promesses des pouvoirs publics, l’aciérie électrique de Gandrange était définitivement arrêtée, ainsi que train à billettes (TAB) au 31 décembre 2009. Sur les 595 postes supprimés, 400 salariés étaient reclassés sur les sites d’ArcelorMittal à Florange et au Luxembourg. Quelques jours plus tôt, ArcelorMittal annonçait un arrêt provisoire du site de Florange, où plus d’un tiers des salariés de Gandrange étaient en cours de reclassement… Alors que notre organisation pointait le manque de visibilité quant à l’avenir du site, faute d’investissements, et la dégradation des conditions de travail, l’affaire a pris une tournure encore plus inquiétante à la fin de l’été 2011, quand le groupe a annoncé l’arrêt du haut-fourneau P6, alors que l’arrêt du haut-fourneau P3 avait déjà été prolongé jusqu’à la fin de l’année en juillet.

Pendant que les salariés, à l’appel de l’intersyndicale à laquelle participe activement FO, et après avoir lancé un droit d’alerte, se mobilisent pour défendre le site et leurs emplois, la direction donne le coup d’envoi d’une longue série de promesses. Aux 629 salariés concernés par la mise en sommeil de la filière liquide chaude, elle fait miroiter deux possibilités: un redémarrage dans l’usine sur des tâches de surveillance des installations ainsi que des travaux de fabrication ou de maintenance, ou le chômage partiel. La Fédération FO de la métallurgie prend immédiatement la mesure de la situation et soutient activement les métallos. Il faut dire que les dégâts engendrés par la politique du groupe ne se limitent pas à Florange. La mobilisation syndicale se fait également à l’échelon européen sous l’égide de la Fédération Européenne de la Métallurgie (FEM, devenue cette année IndustriALL European Trade Union), dont FO est un des piliers. Mais ArcelorMittal poursuit sa stratégie. A la mi-février, la direction annonce une prolongation de l’arrêt de la filière liquide et du packaging. L’inquiétude grandit chez les salariés de Florange. «Nous avions déjà été prévenus en janvier que si le redémarrage n’intervenait pas rapidement, il deviendrait vite quasi impossible, explique alors le secrétaire du syndicat FO de Florange, délégué syndical et élu du CE Walter Broccoli. L’annonce est un véritable coup de massue pour les salariés.» Ces derniers ne se résignent pas pour autant et passent rapidement à l’action avec un objectif clair: le redémarrage du haut-fourneau P6.

Passer à l’action

Le 20 février, ils prennent possession des locaux de la direction du site, mettant cette dernière au chômage technique. Et il ne s’agit là que d’un prélude. Dès la semaine suivante, les métallos de Florange durcissent le mouvement, bien décidés à se faire entendre. «Notre mobilisation doit être durable, précise Walter. Nous avons donc décidé de mener des “opérations-commando” pour plus d’efficacité et de visibilité.» Ainsi, les salariés bloquent les trains et les camions qui doivent réaliser les livraisons de bobines aux clients du site. La stratégie est sans ambiguïté: frapper Mittal au portefeuille pour éviter la mort du site. Dans leur action, les salariés sont soutenus par les élus locaux, par un député européen (le projet de captage de CO2 ULCOS étant compromis par la menace qui plane sur le site) et voient défiler les candidats à la présidentielle avec méfiance, le souvenir de Gandrange étant encore dans toutes les mémoires.

Ils n’ont pas de doute sur ce qui est en jeu dans ce combat: «C’est l’avenir de l’acier lorrain qui se joue ici. Nous avons peu d’espoir pour la filière packaging, mais nous sommes fermement décidés à obtenir le redémarrage du haut-fourneau P6, et nous savons que la lutte est le seul moyen d’y parvenir. Nous ne céderons pas», résume Walter Broccoli. Les salariés organisent une marche de Florange à Paris, sont reçus à l’Elysée. Mais rien n’y fait. ArcelorMittal campe sur ses positions et refuse tout engagement écrit quant au maintien du site et à l’absence de licenciement pendant un an. L’alternance politique au sommet de l’Etat redonne un peu d’espoir aux métallos. Le ministre du Redressement productif lance une mission d’expertise sur le devenir du site, qui débouche au cœur de l’été sur le rapport Faure, dont la conclusion est claire: Florange est rentable, comme n’a cessé de l’affirmer FO. Mieux: ce rapport sur «La filière acier en France et l’avenir du site de Florange» reprend l’ensemble des constats et revendications formulés par notre organisation, notamment la demande de conserver Florange comme usine intégrée (comprenant donc la filière liquide, le laminage à chaud et l’aval). «Nous avons également été entendus quand nous avons expliqué que les soi-disant surcapacités s’expliquait par le choix de l’année record 2008 comme référence, et qu’elle n’existaient pas si l’on regarde une moyenne sur 10 années, explique alors Frédéric Souillot. Ce qui démontre clairement la volonté de Mittal d’organiser le marché à sa main pour contrôler les prix. Nous avons aussi montré que la disparition de Florange serait préjudiciable à l’ensemble de l’industrie et à la balance commerciale française, Florange exportant une large part de sa production. Résultat: ce rapport donne une vision claire du marché européen et mondial de l’acier et, surtout, il donne des perspectives et des options pour l’avenir.» La commission Faure se retrouve mandatée pour rechercher un repreneur pour l’ensemble du site, la loi sur la préservation de l’industrie, qui aurait dû être discutée en septembre, faisant figure d’ultime recours. Un rapprochement s’opère également avec les ministres de l’Industrie luxembourgeois et belge afin de présenter un front commun face au géant de l’acier, qui fixe au gouvernement une date limite en forme d’ultimatum pour trouver un repreneur: le 1er décembre.

Douche froide

Dès lors, tout s’accélère. La mobilisation des salariés ne faiblit pas. Les tractations battent leur plein en coulisses. Les noms de repreneurs potentiels commencent à circuler. Les pouvoirs publics évoquent une possible nationalisation temporaire de Florange en cas d’impasse. Mais il était écrit que rien ne serait simple pour les métallos lorrains qui, durant le dernier round du dossier, passent de l’euphorie à la plus amère déception. Le 28 novembre, le ministre du Redressement productif annonce qu’un repreneur est sur les rangs, prêt à investir 400 millions d’euros, mais pour la totalité du site, comme le revendique notre organisation depuis le début. Florange est sauvé. Les métallos exultent. Mais la joie est de courte durée. Le lendemain, c’est la douche froide. Le Premier ministre annonce que «À l’issue de la période de 60 jours (…), il est constaté par les deux parties qu’il n’y a pas de repreneur déclaré pour le périmètre offert à la vente.» ArcelorMittal reste propriétaire du site. L’accord, publié par la presse, est consternant. «L’accord est pire que ce que nous proposait la direction il y a 18 mois, constate Frédéric Souillot. Nous n’avions pas besoin d’un arbitrage étatique en trompe-l’œil pour faire vivre le dialogue social! ArcelorMittal réalise 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France et un pourcentage important de son résultat opérationnel. En cas de nationalisation, il ne serait pas parti avec ses usines sous le bras…» Dans ce document de – seulement – deux pages, il est ainsi indiqué que les 180 millions d’euros d’investissements sur cinq ans promis par ArcelorMittal seront certes «réalisés de manière inconditionnelle», mais que «les investissements stratégiques» ne représenteront que 53 millions d’euros de l’ensemble. Tout le reste, ce sera «le flux d’investissements courants, les investissements de pérennité, santé, sécurité et progrès continu, et la maintenance exceptionnelle», c’est-à-dire un vaste fourre-tout où à peu près tout et n’importe quoi peut être comptabilisé, et notamment les frais de maintenance. «C’est exactement ce que nous redoutions, lâche Frédéric Souillot: ArcelorMittal fait passer pour une concession de sa part des dépenses qu’il était de toutes façons obligé d’effectuer.»

Et maintenant?

Concernant les activités de packaging, dont une ligne sur deux seulement fonctionne actuellement sur le site, il est écrit que «ArcelorMittal concentrera les activités de l’amont du packaging de l’entité Atlantique et Lorraine sur Florange.» En échange, «l’activité amont de Basse-Indre sera mise en arrêt temporaire» (qui est pour ce site ce que les hauts-fourneaux sont pour Florange) et l’activité de recuit d’Ebange, qui fait partie du site intégré de Florange, pourra être mise en «arrêt temporaire» elle aussi, «en fonction de l’optimisation des carnets». Dans la foulée, le géant de la sidérurgie annonce son retrait du projet européen ULCOS, sur lequel reposaient en partie les espoirs de survie de Florange, et fait comprendre que les hauts-fourneaux P3 et P6, arrêtés depuis juin 2011, sont bien définitivement abandonné, et que le P2 de Dunkerque ne sera pas relancé avant, au mieux, le printemps 2013. En clair, c’est l’arrêt de mort de la filière liquide. «La décision du gouvernement crée beaucoup de déception et laisse un goût amer», résume le secrétaire général de FO Jean-Claude Mailly. Emmenée par le secrétaire générale de la Fédération FO de la métallurgie Frédéric Homez, une délégation composée du secrétaire fédéral Frédéric Souillot, de Norbert Cima et Walter Broccoli s’est rendue à Matignon le 6 décembre pour une réunion tripartite sur le dossier. «Nous avons très clairement fait savoir que l’accord conclu entre le gouvernement et ArcelorMittal était pour nous inacceptable», explique Frédéric Homez. Et le 13 décembre, lors du CCE du groupe, notre organisation a enfoncé le clou en faisant part de son refus d’intégrer la commission de suivi d’un accord qu’elle rejette. Pendant ce temps, autour de François Zarbo, représentant national FO d’ArcelorMittal, les syndicats FO du groupe s’organisent afin de poursuivre leurs actions. Car pour les métallos, ce retournement de situation ne signifie qu’une chose: le combat pour l’emploi et l’industrie continue!