Le géant suédois du meuble aurait érigé en système l’espionnage de salariés en France.
FO a déposé une plainte pour «utilisations frauduleuses de données personnelles».
Une enquête préliminaire a été ouverte.
La filiale française d’Ikea aurait passé un accord avec des enquêteurs privés qui lui fournissaient des informations sur des salariés, des syndicalistes et des clients, issues notamment du fichier de police STIC*.
«Que te proposer de plus et de mieux que 80 euros par consultation, pour des consultations équivalentes à celles du STIC», «Vendu!! »
La plainte déposée par l’Union départementale FO de Seine-Saint-Denis auprès du parquet de Versailles le 1er mars dernier reproduit des échanges de courriels, datant de la fin de 2003, entre le directeur de la gestion du risque d’Ikea France et un représentant d’une officine privée de renseignements, Sûreté International.
Des mails qui mettent en lumière, selon la plainte, «un accord financier concernant la fourniture de données à caractère personnel».
D’autres échanges de courriels entre Ikea et un enquêteur privé, Jean-Pierre Foures, datant cette fois de juillet 2009, également cités dans la plainte, évoquent la même pratique illégale: «Pourriez-vous me dire svp pour la personne ci-dessous? Concernant la voiture avez-vous des infos?»
«Nous sommes dans notre rôle de défense des salariés en demandant que toute la lumière soit faite sur cette affaire», indique Reza Painchan, Secrétaire de l’Union départementale FO de Seine-Saint-Denis, laquelle a porté plainte contre X le 29 février auprès du parquet de Versailles pour délivrance, obtention et utilisations frauduleuses de données à caractère personnel. Une enquête a été confiée à la direction centrale de la police judiciaire. «Nous espérons que les responsabilités des uns et des autres seront établies», déclare Hocine Redouani, délégué syndical FO du magasin Ikea Paris Nord II.
«QUI A COMMANDÉ ET FINANCÉ CETTE VASTE SURVEILLANCE?»
Après les révélations du Canard enchaîné le 29 février, de nouvelles informations livrées depuis par l’hebdomadaire satirique et par le site Mediapart laissent à penser que la filiale française d’Ikea aurait érigé en système la surveillance de salariés et de clients. Les courriels contenant les informations illicites auraient été adressés à des directeurs de magasin et à des cadres dirigeants au plus haut niveau, parmi lesquels l’ancien directeur général France. Non seulement le géant mondial du meuble aurait utilisé des fichiers de la police, des permis de conduire et des immatriculations, mais il aurait aussi récupéré des données bancaires personnelles. Au minimum, plusieurs centaines de salariés de différents magasins pourraient être concernés, dont des responsables syndicaux. Mediapart fait état d’une liste de 190 noms transmis par le directeur risque d’Ikea France au détective Jean-Pierre Foures, à l’occasion des recrutements lors de l’ouverture du magasin Ikea de Brest en 2008.
«Qui a commandé et financé cette vaste surveillance, et dans quel but?», s’interroge Christophe Lecomte, de la Fédération FO des Employés et Cadres, «nous ne saurons nous satisfaire de petits fusibles jetés en pâture pour protéger l’ensemble du système».
Ikea, qui s’est dit, dans un communiqué, attaché au «respect de la vie privée des personnes», a mis en disponibilité les cadres dirigeants cités dans les médias et a lancé une enquête interne. Les syndicats restent sceptiques. «Ikea cherche à être un “modèle social” en piétinant le droit syndical», estime un responsable syndical FO, qui signale «un dialogue social très difficile» dans l’entreprise.
La grogne monte.
Les salariés du magasin Ikea de Brest ont manifesté samedi 10 mars pour dire leur colère et leur déception après les soupçons d’espionnage.
«On veut savoir qui était au courant», indique Stéphanie Lestideau, représentante FO. «L’Union départementale va se constituer partie civile dans l’affaire dite Ikea», déclare Marc Hébert, Secrétaire général de l’Union départementale FO du Finistère. En fin de semaine dernière, deux délégués syndicaux du magasin Ikea de Thiais, dont un de FO, ont été menacés de sanctions. La direction a assuré que cela n’avait «rien à voir» avec l’affaire des surveillances illégales présumées.
* Le STIC ou Système de traitement des infractions constatées est une base de données qui recense les millions de personnes (responsables d’infractions, suspects, victimes, témoins) impliquées dans des procédures établies par la police. Sa fiabilité a été mise en cause par la CNIL en 2008. (article du 21/03/2012)